Itineraré de una niña de la guerra
(Conchita GUTIERREZ RUIZ)
Itineraré de una niña de la guerra
(Conchita GUTIERREZ RUIZ)
Fille de Républicains espagnols, j’ai toujours pensé combien la vie est une immense école où nous devons construire chaque jour notre vie future par la diversité des expériences, sans jamais oublier d’où l’on vient. Ainsi, pour rester en harmonie avec moi-même, j’ai cultivé ce besoin absolu d’exister à travers l’itinéraire de mes parents, tous deux frappés par l’exclusion et les souffrances de nombreuses années. Pour comprendre mon passé, j’ai depuis décidé de rejoindre ceux qui comme moi se mobilisent pour que nos mémoires parlent, comme ceux qui souffrent de vivre une histoire inachevée. Aujourd’hui, j’aime raconter mon histoire tout comme j'apprécie écouter celles des autres.
Mon père, Manuel Ruiz Morales est né à Santa Fe Province de Grenade le 19 novembre 1914, et ma mère, Blanca Soledad Fernández Carilles, à San Vicente de la Barquera en Cantabria le 10 octobre 1919.
Durant la Guerre d'Espagne, mon père avait le grade de lieutenant. Il a combattu au sein de la 95e Brigade Mixte de la 72e Division d'infanterie. Quant à ma mère et sa sœur, elles s'étaient portées volontaires dans le service de santé de l'hôpital de Santander. Détachées, elles ont servi sur différents sites. La fin tragique de cette guerre a chassé mes parents de leur pays. Ils se sont finalement rencontrés sur les pénibles routes de l’exil.
Mon père blessé quitte Barcelone le 2 février 1939 en fauteuil roulant, il part à destination de la France. Passant la frontière à Cerbère, il est envoyé directement au sanatorium de Clairvivre (Dordogne) où il sera bien accueilli. Il resta ébahi de voir à l'entrée du sanatorium un panneau qui souhaite la bienvenue aux nouveaux blessés. Les nombreux camarades présents s'étaient mobilisés pour les recevoir. Des médecins espagnols et français les avaient accompagnés depuis la frontière française, mais aussi un certain nombre de femmes espagnoles qui, alertées de l'arrivée de centaines de blessés, étaient venues de Périgny pour apporter leur aide. Après de longues journées d'attente et le risque de voir sa jambe se gangrener, un médecin le prit enfin en charge. Les blocs opératoires ne désemplissaient pas, car les salles du sanatorium étaient chargées de malades et de blessés.
Une fois sur pied, il est destiné au camp de concentration de Septfonds. La vie au camp de Septfonds ne sera pas une sinécure. Mon père s'engage alors dans la 74e compagnie de Travailleurs espagnols, de là, il sera affecté au fil du temps dans différents secteurs. Il repart et prend le train en gare de Borredon où près de 20 000 espagnols sont arrivés début 1939. J'ai eu la grande joie de découvrir ce site et le camp de Septfonds lors d'un voyage. Cette gare est aujourd'hui la propriété d'associations mémorielles espagnoles. Envoyée sur des chantiers plus lointains, sa compagnie se déplace à nouveau. Manuel est alors hébergé au camp de concentration d'Argelès sur Mer. C'est dans ce sinistre camp qu'il va rencontrer ma mère. Il se rappelle une grève décidée par les camarades pour ne plus aller travailler pour rien ou pour presque rien. Ils avaient décidé de ne pas sortir des baraques et de ne pas se rendre au rassemblement du matin afin de ne pas retourner sur le chantier où ils étaient exploités. Ils seront sévèrement réprimés et sortis des baraques manu-militari. Gendarmes, militaires et mobiles à cheval avaient fait le déplacement. Il y eut des sanctions et de sévères punitions. Mon père quitte Argelès sur Mer, sa compagnie l'envoie sur un chantier à Roanne dans la Loire, alors que ma mère est engagée dans une filature à Saint-Étienne, à proximité donc.
Je suis née le 21 septembre 1941 de cette idylle. Après bien des démarches, Manuel rejoint Blanca à Saint-Étienne et ils se marient. Il est alors affecté aux mines de charbon proches de sa demeure. Tout aurait pu s'arrêter là et voir cette famille démarrer une paisible vie quand bien même la Seconde Guerre mondiale battait son plein. Début 1944, suite à une dénonciation, les polices, allemande et française, font une descente sur le chantier et arrêtent de nombreux ouvriers dont Manuel. Lors du transport de ces prisonniers vers les cellules lyonnaises, un commando de résistants attaquent le convoi et libèrent tous les ouvriers. Certains, les plus engagés, suivent les maquisards dans leur retranchement puis sont orientés vers d'autres secteurs. Ainsi, Manuel se retrouve dans les Ardennes. Un grand drame arrive alors, ma mère Blanca décède suite à une longue maladie. Je reste seule en ce monde si cruel. Sans nouvelle de mon père, des amis de mon père, la famille Sánchez, me prend en charge et m’élève comme leur propre enfant. Ma nouvelle famille m'avait en fait presque adoptée quand Manuel, mon père, revient bien vivant en 1945. Il tente de retrouver son travail à la mine, mais sa sollicitation n'est pas retenue. Toujours lié à la compagnie de travailleurs, il est muté à Port Vendres pour assurer la reconstruction du port que les allemands avaient fait sauter. Mon père se remarie à Port Vendres et vient me chercher en 1947. La mort de ma mère, ma séparation de la famille Sánchez, l'abandon d'un espace connu seront des déchirements pour l'enfant que j'étais. Finalement, le temps a éclairci nos vies et avec ma nouvelle famille, nous connaîtrons enfin des jours plus heureux.
Mon père a écrit quelques pages sur son exode et son parcours dans les différents camps. Je retiendrai un passage pour souligner l'état de souffrance physique et morale où il était, mais aussi sa clairvoyance. Le premier jour de son exil forcé, il écrit : par une matinée claire et ensoleillée, nous observions notre tristesse ! Ouvrons les yeux, ouvrons nos cœurs pour que survivent nos histoires d'exilés et de républicains espagnols.
Conchita Gutierrez Ruiz