Ma petite histoire. 

Pour la mémoire de Rafael et Dolorès

Ma petite histoire. Pour la mémoire de Rafael et Dolorès

En 1938, mon père dut quitter rapidement son village suite à une dénonciation. Il est parti seul dans la nuit, à pied, en direction de la France, traversant vallées et montagnes. Mes parents habitaient alors avec mon frère et ma sœur à Prades, magnifique village de la province de Tarragone, perché à 900 mètres d’altitude. Pendant la Seconde République, mon père assurait des responsabilités au sein des JSU -Jeunesses socialistes unifiées-. C’est uniquement pour cette raison qu’il dut quitter précipitamment sa maison, ma maman, mon frère et ma sœur. À cette époque, mes parents possédaient une maison, une grange, un cheval, des terres (potagers et noisetiers), une mine de talc en association avec mon oncle et du courage, beaucoup de courage. Après de nombreux jours de marche, il passe la frontière, peut-être à Las Illas, et trouve du travail au Mas Fourtou. Je ne connais pas exactement la date, mais fin 1938, mon père eut une idée folle, il voulait reprendre le chemin à l’envers et revenir à Prades, son village, pour revoir les siens aux tombées de la nuit. Chaque retour, c'était plus de 10 jours de marche avec le risque de se faire arrêter par la Guardia Civil. De nouveau, quelqu’un de la famille, sachant qu’il était là, vint taper à la porte et lui dit, «il faut que tu partes immédiatement, car demain matin, ils vont venir t’arrêter ». Mon père a donc repris son ballot et ses vigatanes (espadrilles catalanes) et revient au Mas Fourtou, commune de Prunet et Belpuig, près de St Marsal et La Bastide. Ce dont nous sommes sûrs est que pendant cette unique nuit passée à la maison avec ma maman, ma deuxième sœur a été conçue.

Fin janvier, début février 1939, La Retirada, met sur le chemin de l'exil 500 000 réfugiés qui fuient la dictature et la barbarie franquiste. Femmes, enfants, vieillards et soldats passent les frontières pyrénéennes. Ma maman étant enceinte de ma seconde sœur n’a pas pris le chemin de l’exil. Elle est restée au village. En 1940, elle prend la décision de tout quitter et part avec ses trois enfants dont ma petite sœur de quelques mois dans ses bras ainsi que deux cousines. Ils arrivent en France au pire moment, car de terribles inondations "l’aiguat" (1) dévastent la région. Tous sont immédiatement enfermés dans le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer. Pendant cette période d’enfermement au camp, une cousine accouchera à la maternité d’Elne. Dès que mon père a eu connaissance de leur arrivée dans ce camp, il est descendu récupérer sa famille et les a emmenés avec lui au Mas Fourtou.

Entre temps, en septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale est déclarée. Puis en 1942 ce sont les débuts de la Résistance en France. La résistance antifasciste sera très intense dans cette région : Saint Marsal, La Bastide et Valmanya. Mon père cachait des armes, des munitions et de la nourriture dans le mas et servait d’agent de liaison auprès de la résistance française et de la brigade de Guérilleros espagnols. À la fin de la guerre, mon père partit travailler au Mas Deu, commune de Trouillas, où je suis né en 1949. En 1959, mes parents décident d’aller à Prades, un retour dans leur village tant attendu, pour revoir la famille mais aussi sa terre et ses noisetiers. Nous partions tous les trois en bus, voyage aux nombreuses étapes : Perpignan, Le Perthus, Barcelone, Tarragone, Reus et Prades. J’ai 10 ans et je m’en souviens encore. Mais à la frontière du Perthus, lors du contrôle des papiers d'identité par la Guardia Civil, un ordre arrive :

« La famille Obis, vous descendez ». Après de nombreuses minutes dans les locaux de la police espagnole, ils indiquent à ma maman et à moi que nous pouvons continuer le voyage mais à mon père « impossible pour vous de rentrer en Espagne ». Ce fut un choc pour mon père, qui, à partir de ce jour-là, décida de ne plus jamais mettre les pieds en Espagne, son pays.

Il y aura quelques petites entorses, car nous avons réussi à le convaincre beaucoup plus tard d'aller jusqu’à Figueres et Rosas. Mais il ne retournera plus jamais dans son village. Dans les années 60, mon oncle, le frère de mon père et mon cousin qui n’avaient jamais quitté Prades sont venus à plusieurs reprises jusqu’à la frontière. Cela nous permettait de nous rencontrer au Perthus et passer ainsi la journée ensemble autour d’un casse-croûte sorti du panier. (Photos)

Mon regret, c’est que mon père est décédé deux ans avant Franco et je n'ai pas pu trinquer avec lui pour fêter cet événement tellement important pour lui : « Franco ha muerto ».

Louis Obis

(1) Du 16 au 19 octobre 1940, la Catalogne espagnole, les Pyrénées-Orientales et l’Aude connaissent un épisode climatique extrême avec des pluies diluviennes qui s’abattent durant quatre jours. Cet « Aiguat » provoque 50 morts dans le département des Pyrénées-Orientales en dévastant principalement la vallée du Tech. Le camp de Saint-Cyprien sera détruit pour moitié, entraînant sa fermeture et l’évacuation de ses internés essentiellement vers les camps de Gurs et d’Argelès-sur-Mer, ce dernier étant moins touché par les inondations. On dénombre pourtant deux victimes dans le camp, ce sont deux femmes espagnoles retrouvées noyées. Les photographies du commandant Couderc, prises dans les deux camps, témoignent de la violence de cet Aiguat.