Récit Federico, à la mémoire de mes parents

LE DEPART

1938 : BARCHETA, Valencia.1947 : SAINT – NAZAIRE d’AUDE. Francia.

A la mémoire de mes parents,

En 1938 mon père se trouvait en garnison au château de Lérida, c'était la guerre. A ma naissance, le 21 Janvier 1938, il obtint une permission de huit jours, puis il retourna à sa garnison.

Et c'est seulement dix ans plus tard qu'il eût la chance et la joie de pouvoir me prendre dans ses bras, en Andorre, en 1947...J’avais neuf ans.

Son parcours fût tragique, car sans l'aide d'aucun gouvernement et contre trois grands pays fascistes, l'Allemagne, l'Italie et le Portugal, il s’est battu avec les Républicains pendant trois ans, pour terminer, malheureusement, par une retraite vers la France, depuis Lérida, Barbastro, Manresa, Ripoll et arrivée à Campredon ; deux jours après, il franchit la frontière française dans une tempête de pluie et de neige.

Dans le premier village français, Prats de Mollo, on les a tous rassemblés dans le terrain de football, mais la pluie et le froid glacial, firent que le lendemain ils avaient de la boue jusqu'aux genoux ; alors la municipalité donna l'ordre de les laisser sortir vers la montagne. Là, ils allument des feux, se sèchent comme ils peuvent, et le soir venu ils enlèvent les braises et se couchent sur la terre chaude. Ils sont affamés et la population de Prats de Mollo leur apporte tout ce qu'elle peut ; ils garderont une très grande reconnaissance envers ces gens et la municipalité de ce village.

Puis vint le moment de la marche vers Arles sur Tech, Le Boulou et le Camp de Concentration du Barcarès...Cruelle réception de la part du Gouvernement de la France ...La France et l'Angleterre de Churchill avaient refusé toute intervention pour venir en aide aux Républicains Espagnols, et avaient préféré négocier avec les régimes fascistes....

Six mois plus tard, dans une famille originaire de Barcheta, notre village, dont les parents étaient venus en France en 1914, leurs filles qui étaient mariées en France et habitaient à Saint-Nazaire d’Aude, près de Narbonne, apprirent que mon père était au camp du Barcarès ; elles sont alors allées le chercher et l'ont hébergé chez elles ; il les aidait à travailler le jardin potager ; mais voilà ! Un an plus tard la France était occupée par les allemands.

Il eut tout de même la chance de trouver un employeur, qui était le maire du village, monsieur Pesqui.Un jour, la Gestapo se présenta à la mairie à la recherche d'un nommé Lorente Frédéric sorti du Camp du Barcarès (c’était mon père !) ; le Maire qui était d'accord avec mon père leur répondit :

« Il travaille pour moi, mais il a disparu, il doit être reparti en Espagne ! » Pendant l'occupation nazie, Mr Pesqui, son patron, lui procura des faux papiers et un laissez-passer de vaguemestre de Mr le Maire ; il eut beaucoup de chance car cela lui évita les Camps de la mort en Allemagne.

En 1947 mon père demanda un congé à son employeur pour se rendre en Andorre afin de voir s'il pouvait faire venir sa famille en France, ce dernier donna son accord et lui dit :

- « Si tu reviens ici, tu auras ton logement et ton travail ».

Grâce à la complicité d'un ami berger qui chaque année se rendait avec son troupeau d'Ax les Thermes jusqu'au Pas de La Case, et qui l'embaucha, il parvint jusqu'à la frontière et là, le berger lui dessina un plan pour se rendre en Andorre. Il trouva une auberge, -la Fonda Cisco - où il put se loger ; très vite il eut du travail car on élargissait la route depuis Andorre jusqu' aux Escaldes pour créer des parcelles de terrain à bâtir, et, comme au village en Espagne il travaillait dans une carrière comme dynamiteur, il fût embauché tout de suite.

Au bout de quelques jours il prît contact avec des passeurs pour tenter de faire entrer sa famille mais ils demandaient des sommes fabuleuses. Quelque temps plus tard, alors qu'il rentrait à l'auberge, le patron lui dit :

- « Il y a un monsieur qui cherche une chambre pour la nuit mais je suis complet ; dans la vôtre il y a deux lits, est-ce que vous verriez un inconvénient à ce qu'il dorme dans la vôtre ? ».

Mon père accepta. Après le souper, au moment d'aller se coucher et de se déshabiller, mon père s'aperçut qu'il avait à faire à un policier et il lui dit :

- « Vous êtes de la Police ? »

Et ce dernier lui demanda :

- « Comment le savez-vous ? »

– « J’ai vu vos souliers ! » ...car mon père avait un cousin à Valencia qui était policier...

– « Oui, je suis policier ! » -

– « Et que faites-vous en Andorre ? » -

– « Eh bien voilà, je fais passer la frontière à des familles républicaines pour rejoindre leurs maris et leurs pères ».

Mon père n'en revenait pas …

- « Et moi, je suis ici pour essayer de faire passer ma famille, mais les passeurs me demandent des sommes faramineuses ».

- « Cher camarade, lui répond-il, moi je vous fais venir la famille sans payer un sou ! ».

L'émotion fût énorme et la nuit très longue.

- « J’ai une femme et un fils, et une cousine avec deux enfants ».

Quelques jours après, le policier retrouva mon père en Andorre et lui dit :- « Voilà mon adresse, fais savoir à ta femme de se mettre en relation avec moi ».

Par la suite, ma mère se mit en contact avec le señor Molina à Lérida.

Le 10 Août 1947 fut très douloureux pour moi ; accroché à la longue jupe de ma grand-mère - l’Abuela - je la suppliais de venir avec nous, et nous voilà, ma grand-mère et moi montés sur l'âne avec une valise, en route vers la gare, à huit kilomètres, mon grand-père et ma mère suivaient à pied ; arrivés au premier village, Refelvorat, l'autre famille nous attendait avec ses deux garçons et leur maman. Arrivés à la gare — La Pobla Larga -, nous avons retrouvé d'autres cousins qui habitaient juste en face et chez qui j'avais passé une grande partie de mon enfance.

Le départ de la gare fut moins tragique ; nous étions trois enfants, et monter dans le train fut pour nous une grande joie, c'était la première fois ! L’Abuela me dit :

- « nous allons rendre l’âne et demain nous viendrons avec l’Abuela » ; mais toute ma vie je la verrai sur le quai de la gare, et ses larmes couler. Nous sommes arrivés à Lérida chez le señor Molina où nous avons dormi. Le lendemain matin, nous sommes partis en bus, et arrivés à La Seo d'Urgell nous avons passé la nuit dans un local à côté des vaches. Au petit matin, accompagnés du señor Molina, les trois enfants nous sommes partis en bus et arrivés en Andorre ; les deux mamans étaient restées à La Seo d'Urgell. A notre arrivée mon père nous attendait et voyant le señor Molina descendre du bus mais pas ma mère, il lui demande :

- « où est la famille ? » - « Voilà votre fils et les deux cousins ! » L'émotion fut immense, les larmes coulaient à flots ; soi-disant je lui dis : - « la mare y la Abuela vont venir ».

L'après-midi, le Sr Molina est reparti en taxi chercher les deux mamans à La Seo d'Urgell, toutes les deux habillées du noir du deuil, comme si elles avaient perdu un parent en Andorre, et voilà qu'en fin d'après-midi elles sont arrivées et nous nous sommes tous retrouvés ; à nouveau des larmes de joie car après dix longues années de séparation, nous avions retrouvé la Liberté !

Pendant ces dix années, ce sont mes grands-parents qui m'ont élevé, et pour moi l’Abuela c'était comme ma mère, car ma mère était employée comme bonne chez un Marquis à neuf kilomètres du village, au lieu-dit « La Casa Nova » et je la voyais très peu.

Le 15 Août 1947 nous sommes arrivés à Saint-Nazaire d'Aude, journée dont je garde un grand souvenir grâce à l'accueil très chaleureux que nous avons reçu de tout le village. Par la suite, les premiers temps furent très difficiles pour ma mère ; nous habitions dans une très vieille maison sans eau courante ni tout-à-l'égout, mais malgré tout nous avions de quoi manger ; ce qui manquait le plus c'était le pain ; nous avions des tickets pour aller chercher le pain.

Un jour, pendant les vendanges, mon père me dit : - - « Quand tu te lèveras, prends les tickets et va chercher le pain » ; J’y suis allé et en revenant à la maison pour déjeuner, j'ai mangé tout le pain.

En arrivant du travail, mon père me dit

- « Et le pain ? »

- « Je l'ai mangé ! » Quoi dire à un enfant de neuf ans ? Par chance nous avions des patates et des topinambours.

Environ un an plus tard, nous avons reçu une lettre de la famille Molina qui nous informait que le señor Molina avait été arrêté, alors qu'il faisait passer une autre famille vers la France. Il fut condamné à mort et ils l'ont fusillé ! C’est là l'illustration de ce qu'est le fascisme !!!!

Ils avaient gagné la guerre, alors pourquoi ? Mais quel mal faisait cet homme ?

Un très grand hommage au señor Molina pour nous avoir sorti des griffes des bourreaux.

NI PERDONAR NI OLVIDAR

Federico LORENTE