L’histoire de José Mellado et mes chers parents (Azucena)     

Mon père est né le 29 janvier 1905 en Garrucha Almeria. Il avait 3 ans quand ses parents quittèrent l’Espagne. Ils partirent à Berkane au Maroc Français. Son père mourut malheureusement peu de temps après et sa mère dut se débrouiller pour élever ses enfants. Pour survivre, elle vendait, entre autres choses, des cigarettes de contrebande à des militaires français qui ne la payaient pas toujours, d’où une rancœur vis-à-vis des Français de la part de mon père, alors très jeune. En vérité, je ne connais pas grand-chose de l’enfance de mon père. Pourquoi ? Parce qu’il ne parlait pas beaucoup. Combien de fois l’ai-je vu pensif, perdu dans, je ne sais quel souvenir. Il était petit et sec, il ressemblait à la terre de son pays, il ressemblait à ces troncs d’olivier qui ont réussi à grandir malgré la sécheresse et la dureté du sol.

Ma mère est née à Herrerias près de Cuevas de Almazora le 28 septembre 1909, et avec ses parents, à l’âge de 8 ans, elle est partie au Maroc espagnol, à Melilla. A cause du climat et certainement à cause de la piqure d’une mouche, elle avait attrapé une maladie infectieuse à l'œil, une bactérie : le trachome.

Son calvaire sur terre avait commencé avec son père qui était boulanger.Ma mère avec sa sœur Catalina, sa cadette de 14 mois, étaient chargées d’allumer le four. Elles se levaient à l’aube. Pour être sûrs qu’elles se réveilleraient, son père plaçait le réveil sur une petite assiette avec des piécettes, pour que cela fasse le plus de bruit possible. Par deux fois, il a quitté la demeure : il est parti aux États-Unis puis une autre fois en Amérique du Sud. De ces pays lointains, il avait écrit à ma grand-mère pour qu’elle refasse sa vie car lui, l’avait faite. Après de nombreuses années, il est revenu. Avant de rentrer, il s’était renseigné si sa femme était toujours libre. Enfant, ma mère a aussi souffert de la faim !

Mes grands-parents sont donc partis au Maroc ; ma mère avait 15 ans et fut placée chez les sœurs à l’hôpital. Les religieuses voulaient que ma mère entre au couvent. Elles étaient même prêtes à lui payer son trousseau. Ma mère me disait : « j’avais une grande foi, mais de là à me faire bonne sœur ! » De cette période elle garda un bon souvenir. Elle côtoyait aussi des curés et l’un d’eux l’avait bloqué un jour dans un couloir, ce qui l’avait profondément ébranlée. Ma mère n’a néanmoins jamais perdu la foi. La pauvre a contracté le typhus et elle a bien cru mourir. Elle me parlait souvent de Melilla, elle aurait tellement voulu y retourner.

Mon grand-père Diego suite à une douleur à l’œil est reparti en Espagne et quand il est revenu, il avait perdu cet œil. Ma mère me contait son histoire telle que je l’ai écrite, comme une calamité supplémentaire. Combien de fois, me racontant sa vie, elle me disait pero que desgraciados eramos en incluant a sœur Catalina. J’ai des zones d’ombre quand je raconte son histoire sans doute parce qu’elle zappait des pudeurs ou bien parce que je n’avais pas bien écouté. Non, je ne crois pas, je pense qu’elle, si pudique, m’a caché des anecdotes, certainement les plus intimes.

Et puis elle a connu mon père. Ils étaient cousins germains par leurs mères. Mon père s’appelait Mellado Simon et ma mère Parra Simon. Comment se sont-ils connus ? Je ne le sais pas en vérité. Je suppose que cela a été pendant son service militaire. Oui c’est bien ça… ce fut le coup de foudre. Je peux vous dire que le plus grand amour d’un homme pour sa femme que j’ai connu, est celui de mon père envers ma mère. Ma mère l’a aimé certainement, mais lui… Il l’adorait. Il l’aimait passionnément, jalousement. Et pourtant ma mère n’était pas ce qu’on appelle une pin-up. Oh oui, combien il l’aimait. Je le revois, couché contre elle. Lui, avec ses 1,65m maigre et elle, 1,70m et 80 kilos. C’était le couple à la Jacques Faisant. Par rapport à leur physique, j’écrirais autre chose plus en avant. Il lui disait que guapa eres et elle, en ronchonnant disait si muy hermosa ! ». Le fameux cuanto te quiero, je l’ai entendu toute ma jeunesse. Quand elle servait à table, parfois il lui touchait les fesses et elle, je revois encore son sourire malgré sa gêne. Ils m’ont tellement aimée, ils ont été si merveilleux et du haut de mes 54 ans, en écrivant ces lignes, je pleure encore, je suis restée la petite fille que j’étais avec eux.

18 juillet 2002, Henri aura 62 ans demain.

Mo, père était analphabète, c’est-à-dire qu’il ne savait ni lire ni écrire. Il nous avait fait acheter un abécédaire pour apprendre à lire. A l’abri des regards dans sa chambre, je lui apprenais les rudiments de la lecture comme à un enfant. Et pourtant voyez-vous, il comprenait parfaitement les plans de ce qu’il devait construire. Ah oui, j’ai omis de dire que mon père était maçon, le plus beau métier du monde. Je me rappelle de cette odeur de ciment, l’odeur de mon enfance. Il me faisait copier sur un petit carnet les heures et tâches des manœuvres et il les recopiait de sa main. Ses patrons n’ont jamais su qu’il était analphabète.

Mon père, autant que je m’en souvienne, a toujours été malade des poumons et il allait travailler autant qu’il le pouvait. Combien de fois l’ai-je vu épuisé ? Malheureusement, atteint par de fortes fièvres, quand il n’en pouvait plus, il était obligé de s’aliter… puis, il devait retrouver du travail car c’était ainsi à cette époque d’insécurité sociale. J’avais 14 ans et lui 54 et je l’ai vu une fois revenir à la maison après avoir cherché du travail. Ma mère lui demande has encontrao algo Joseico. Ce jour-là, cet homme si fier, au point qu’aucun patron ne l’avait fait plier, arrivait à la maison à pied, toujours à pied, et lui cet homme si courageux, larmes aux yeux faisait signe de la tête que non ; c’est alors que, j’ai choisi les miens une fois pour toutes. Je suis devenue communiste pour la vie, comme mes parents. Je rappelle ici que je suis née une nuit où justement il y avait une réunion de la cellule à la maison.

Mes parents, honnêtes et généreux, furent un modèle à suivre. Je reviendrai sur ce qu’a été leur vie, leur vie de militants, leur vie de générosité, leur vie de malheurs, surtout de malheurs et qui, malgré tous les durs moments vécus, ils ne changèrent jamais d’avis et restèrent communistes jusqu’à leur mort.

Huit mai 2005.

Mon père est parti en 1936 volontaire pour combattre en Espagne avec d’autres républicains qui vivaient au Maroc. Il est parti par conviction, pour lutter contre le fascisme. Il ne m’a jamais parlé de cette guerre que nous avons perdue. Ma mère m’avait dit qu’il construisait des tranchées. Quand les Républicains ont perdu la guerre, lui et ses compagnons sont partis en France où ils ont été parqués dans des camps de concentration. Il était à Saint Cyprien, près de Perpignan. Ma mère peu de temps avant de mourir me dit combien elle avait envie d’y aller à Saint Cyprien autant qu’à Melilla. Nous n’avons pas eu le temps….

Grâce au commandant du camp et au fait qu’il avait de la famille au Maroc mais aussi parce qu’il parlait français, mon père a pu revenir chez lui. Ma mère disait qu’il était revenu couvert de poux.

Quand mon père est parti à la guerre, ma mère est restée sans ressource, elle est partie vivre avec ses parents au quartier Burger. Elle a travaillé chez une italienne et un jour cette femme lui dit « madame Mellado, bientôt le drapeau italien flottera en Espagne », du coup ma mère en colère lui répondit :« en attendant prenez cela » et lui colla une gifle. Ma mère était formidable. Le 6 juillet, cela fera 19 ans qu’elle est partie pour toujours et elle me manque tellement.

Quand mes parents sont revenus rue des Pyrénées, où je suis née, ils ont accueilli des réfugiés politiques espagnols. Eux, mes parents chéris, qui n’avaient rien ou presque rien, donnaient tout. Personnellement, je garde un bon souvenir de ces réfugiés, je vois encore ces lits étalés dans notre petite maison ; il y a eu des bons et des mauvais réfugiés, ceux qui ont été reconnaissants et ceux qui ne l’ont pas été une fois leur situation faite. Mes parents continuaient avec leurs difficultés car, comme je l’ai déjà expliqué, mon père était malade. Une nuit, je crois que j’avais huit ans, nous l’avons veillé pensant qu’il allait mourir. C’est pour cela que j’ai si peur de la maladie. Quand j’arrivais de l’école et je me couchais à côté de lui. Ma mère avait demandé au docteur si je ne risquais rien au cas où il serait contagieux. Non, il ne l’était pas mais il perdait ses poumons à petit feu. Il me caressait les cheveux et les plaçaient derrière les oreilles… je me souviens de ce geste, il ne parlait pas et rien au monde nous aurait séparés.

Cette saloperie de mort l’a emporté alors que j’étais enceinte de Stéphane. Mon père était à Alicante et moi à Casablanca. Je n’ai même pas pu aller à son enterrement. Il n’avait que 64 ans mais il était usé jusqu’à la moelle.

Ma mère m’a aussi raconté que l’année 1936, il avait fait grève sur le tas. Il travaillait alors comme maçon à la Banque d’Etat. Il fut jeté en prison. Quand ma mère et moi passions devant le commissariat, elle me disait « tu vois, ton père était là » me montrant une fenêtre avec des grilles au ras du sol.

Pendant la guerre 39/45 Pétain avait instauré la priorité aux Français et ceux qui étaient au Maroc bénéficiaient de la loi puisqu’ils avaient colonisé le pays. Les étrangers devaient faire la queue une partie de la nuit pour obtenir quoi que ce soit, alors que les françaises passaient devant sans attendre. Ma mère alors enceinte devint prioritaire ; seulement comme elle était forte et que l’on ne voyait pas trop qu’elle attendait un bébé (moi en l’occurrence), elle eut quelques difficultés. Bref, une femme de connaissance intervint et tout rentra dans l’ordre. Elle me raconta une autre anecdote : une française de France (une patos comme on les appelait) vit des figues de barbarie et demanda comment elles se mangent, les étrangères lui répondirent « vous la mettez dans la bouche et vous croquez » Je dois reconnaître que c’était une sacrée vacherie…

10 mai 2005

Aujourd’hui cela fait 24 ans que François Mitterrand fut élu Président de la République et que le PCF a connu son déclin. Quand j’arrivais à la maison ma mère était devant le téléviseur et me dit d’un air triste « maintenant vous allez savoir ce que sont les socialistes ». Moi, j’avais mis le bulletin en faveur de Mitterrand à 16h30 en demandant pardon à mon père, lui, qui avec tous les autres républicains espagnols avaient été mis dans des camps de concentration alors que des socialistes français étaient au gouvernement. De Michel Rocard qui venait du PSU, ma mère disait este, es un hijo de puta . Ma pauvre mère, qui avait appris à lire toute seule, possédait une conscience politique extraordinaire. Les souffrances vécues lui ont certainement ouvert les yeux.

De toutes les tragédies que mes parents ont vécues, la plus terrible fut la perte d’une petite fille qu’ils eurent après son retour de la guerre. Elle s’appelait Marie-Josée et elle mourut à 10 mois. Mes parents étaient tellement pauvres que ma mère envoya mon frère Sauveur chercher du lait à « La Goutte de lait » au Maarif, le quartier où je suis née. A cette époque ils étaient toujours chez leurs parents au quartier Burger. Le lait remis à mon frère était périmé et la petite mourut faute de soins et par manque d’argent. Quand elle décéda mon père était hospitalisé et dû sortir pour assister à l’enterrement. Peu de temps que ma mère ne parte à son tour, elle me parlait sans arrêt de cette petite, comme si elle était morte la veille, elle me disait era muy guapa con su pelo negro. Jamais je n’aurais pensé que ma mère allait me quitter si vite, elle si courageuse devait sentir la mort prochaine.

Chers enfants, ne pensez pas que ma vie fut triste avec eux. Ma mère était la gaieté même, elle racontait toujours des histoires salées et chantait toujours. Je ne lui ai jamais connu la haine, seulement le courage, jamais de plainte mais de la colère, cette colère qu’elle m’a laissée en héritage pour avoir la force de vivre debout comme elle l’a toujours fait. Quand on habitait à Grenoble la télévision, un soir, a projeté le film L’Espoir de Malraux. Je me suis mis à pleurer avec désespoir et cherchant à me consoler, elle me dit « ne pleure pas ma fille, tu dois te battre, un point c’est tout ». Parfois, quand j’étais déçu du comportement de certains de mes camarades, elle me disait « la vie est ainsi, des déceptions tu en auras mais tu ne dois pas abandonner ».

Quand mon père partit à la guerre, ma sœur le critiqua sous prétexte qu’il avait abandonné ma mère et ses petits-enfants. Il était parti avec Michel Jurado, le père de Marijo et d’Isabelle, et Bernabé, le frère de votre grand-mère. Michel Jurado a rejoint la Résistance française.

En février 1986, l’année où ma mère est morte, à la Fédé, il y eut une réunion avec Marie-Claude Vaillant Couturier une grande dame de la Résistance et du parti, ma mère allongée dans son lit me dit « Tu sais c’est elle qui a aidé ton oncle Michel à revenir au Maroc, dis-le-lui ». Peut-être ai-je eu tort de ne pas lui en parler.

Le 27 janvier 2006 est décédé Joseph Algariu le mari de ma cousine et marraine Loly. Je suis allée à l’enterrement et ai retrouvé mes cousines. Elles ont parlé sans discontinuer de mes parents et de ma mère en particulier. Alignés en face de ma cousine Loly, cette dernière raconte « à chaque fois que je fais des œufs frits, je te jure Azucena, je pense à ta mère. S’adressant aux autres elle rapporte « elle faisait des poêlées d’œufs sur le plat avec des petits bouts de chorizo, je crois, pour les réfugiés politiques alors que ses parents étaient pauvres, hein, ils n’avaient rien ; et ta mère leur disait : Comer pan, porque pan hay pero huevos muy pocos..

Mes parents étaient membres du parti communiste français à Casablanca et je crois savoir qu’ils n’en n’avaient pas le droit. Je me souviens ce que ma mère m’avait rapporté quand des camarades sont venus à la maison pour les avertir que la police française allait procéder à une perquisition. Comme c’est bizarre, je revois encore le gros tonneau qui était dans la cour où tous les tracts avaient été brûlés.Comme je l’ai déjà précisé la nuit où je suis née la cellule du parti s’était réunie chez moi ; ainsi ma mère avait alors dit à mon père : Joseico, que ya es hora, diles que se vayan. .

Le 5 mars 1953, arrivant de l’école, je vois ma mère en pleurs devant la radio. Je lui demande pourquoi tu pleures et elle me répondit : Stalin ha muerto ». Depuis longtemps et aujourd’hui plus que jamais, on dénonce les crimes qu’il aurait commis, manière de criminaliser le communisme. Vous me jugerez comme vous le voulez les enfants, mais en souvenir des larmes de ma mère, je ne ressens pas de haine pour cet homme. Parce que ma mère m’a souvent répété « cet homme est le seul chef d’état qui a aidé les Républicains espagnols ». Enfin le 19 juin de la même année, je retrouve une nouvelle fois ma mère en larmes devant sa radio. Elle me dit : los han matao. Elle parlait de Ethel et Julius Rosenberg, jugés coupables aux USA le 5 avril 1951 et exécutés sur une chaise électrique dans la prison de Sing Sing le 19 juin 1953. J’avais alors neuf ans, je me souviens encore.

Mes parents à Casablanca étaient les rouges du quartier. On a même appelé ma mère Madame Peppone. Quant à mon père, il était anticlérical et sans concession. Nous habitions 120 rue du Sort à côté de deux couvents et il passait donc des curés avec leur longue soutane marron. Je coirs que c’était des Dominicains mais en fait je m’en fous. Du haut de mes cinq ans, je leur disais « bonjour mon père » et du coup mon père, le vrai, le seul, m’ayant entendu leva le ton, lui qui ne m’a jamais rouspété, et me dit tienes un padre, un solo padre y soy yo. Depuis je n’ai jamais dit mon père à un curé.

Mes parents n’étaient pas des héros, mais des personnes avec un sens aigu de l’humain. Des gens comme eux, je suis certaine qu’il y en a eu des millions et je suis fière qu’ils en fassent partie. Ils ont souffert, beaucoup souffert de ce système capitaliste pourri. Combien de malheureux de par le monde ont souffert du capitalisme ?

Le mérite de certains est d’avoir refusé cette situation, de se rebeller, de lutter et mes parents étaient de ces gens. Ils étaient analphabètes, bien que ma mère sache lire, mais leur conscience de classe n’avait pas besoin de lire. Ils ressentaient dans leur chair, dans leur cœur et dans leur tête, l’ignominie et la perversion de ce système, et ils l’ont refusé. Ils ont vécu toujours debout, même quand ils étaient à bout de force.

Fin août 1991, revenant d’Espagne, je vois à la télévision des russes qui font tomber la statue de Lénine et mettre à bas le drapeau rouge. J’ai pensé alors à mes parents, heureusement qu’ils n’étaient pas là pour voir cela !

Un autre souvenir truculent mes enfants ; à la maison il y avait toujours des chiens, des bâtards bien entendu. Je me souviens de Rabote, appelé ainsi parce qu’il n’avait pas de queue. Ce chien était toujours dehors et régulièrement la fourrière le ramassait. Un jour où un policier allait le ramasser, ma mère sortit de la maison en courant et interpella le policier, c’était un corse, ce dernier lui dit « qu’est-ce qu’il y a, vous commandez ici vous les étrangers ». Ma mère lui répondit « non monsieur l’agent, c’est vous qui commandez ici mais moi je vous verrai partir ». En effet, elle le vit partir en 1956, le jour de l’Indépendance.

Ma mère était tellement généreuse. Des marocains vendaient des légumes, alignés dans une charrette et produits par eux-mêmes ; régulièrement, les policiers français arrivaient de manière inopinée et saisissaient leur cargaison. Il est arrivé que ma mère fasse entrer ces personnes à la maison pour qu’ils ne soient pas interpellés. Personnellement, je me souviens d’un épisode ; le policier demandant à ma mère si le marchand était rentré chez nous, elle répondit « non, je n’ai vu personne. »

Les légumes réquisitionnés étaient donnés aux bonnes sœurs voisines. Il était courant qu’elles en distribuent une partie aux habitants du quartier mais jamais, jamais elles ne nous ont donnés quoi que ce soit. Nous les communistes, les pestiférés du quartier, leurs voisins immédiats nous n’avons jamais reçu la moindre nourriture. Je vous assure mes enfants, je ne grossis absolument pas le trait.

Jeudi 19 septembre 2013.

Je reviens sur ce que j’ai écrit, concernant les camarades français qui étaient venus à la maison prévenir vos grands-parents. Je l’ai vécu puisqu’il s’agit de la honteuse rafle organisée par le gouvernement français du 7 septembre 1950 appelée Boléro Paprika (boléro pour les Espagnols et paprika pour les gens des pays de l’Est). 176 espagnols, majorités communistes, seront expulsés de France ou envoyés en résidence surveillée.

Vendredi 4 octobre 2013.

En relisant toutes ces pages, je me rends compte que j’ai oublié de vous dire que mon père avait déserté l’armée. D’après ma tante Catalina, il aurait déserté à cause de la guerre du Rif où nombres de jeunes Espagnols refusaient de laisser leur peau pour défendre les intérêts des riches propriétaires colonialistes. Mon père aurait déserté parce qu’un officier le menaçait de le frapper, il a donc préféré partir plutôt qu’avoir à se défendre. Il s’est caché chez les Chleus, Berbères du Maroc, c’est pourquoi il parlait i bien l’arabe. Une autre version familiale affirme qu’il aurait bien participé à la guerre du Rif puis déserté parce qu’il refusait de tuer des Marocains qui ne lui avaient rien fait.

Où est la vérité, je ne sais pas Finalement, ironie du sort, il fut amnistié par le roi Alphonse XIII. Étonnant n’est-ce pas pour nous antimonarchistes. Quoi qu'il en soit, il se cacha bien chez les Chleus, cela est indéniable.

Azucena